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Ce qu’il faut retenir
►Nous espérons que vous avez passé de bonnes vacances et que vous n’avez pas trop suivi les marchés en août. Cela vous aura évité de vous faire trop peur. En effet, les actions ont baissé de plus de 8 % en début de mois à cause des craintes de récession aux États-Unis suite à la hausse du taux de chômage et au débouclage de positions spéculatives, mais cette baisse est totalement annulée ce matin. En revanche, la forte baisse des taux qui a accompagné cette volatilité persiste grâce aux anticipations de baisses de taux agressives de la Fed. Le taux à 10 ans américain est ainsi au plus bas depuis un an à 3,8 %, quasiment 50 pb sous son niveau de mi-juillet.
►Powell, lors de son discours à Jackson Hole vendredi, a confirmé que la Fed allait enfin commencer à baisser ses taux directeurs en septembre car les risques à la baisse sur l’emploi égalent, voire dépassent, les risques à la hausse sur l’inflation. De façon plus structurelle, son discours indique que la Fed pense en avoir fini avec sa campagne de lutte contre l’inflation et qu’elle souhaite désormais éviter un ralentissement abrupt de l’économie. Le retour du soutien de la Fed est clairement positif pour les marchés à moyen terme.
►Cela dit, les marchés ont déjà intégré des baisses de taux agressives de la Fed, avec un taux directeur qui baisserait de plus de 1 point d’ici la fin de l’année. En l’absence de choc financier ou de signe clair de récession, nous pensons qu’il est peu probable que la Fed baisse ses taux de plus de 75 pb lors des trois prochaines réunions. Or les conditions financières se sont, au final, nettement assouplies cet été avec la baisse des taux, la dépréciation du dollar et le rebond des actifs risqués. Et les dernières données économiques disponibles n’indiquent pas une récession imminente. Donc le marché a peut-être intégré beaucoup de bonnes nouvelles, ce qui pousse à une certaine prudence à court terme.
►Pour la zone euro, les dernières données économiques sont plutôt rassurantes après les signes de stagflation du début de l’été (i.e. persistance de l’inflation et ralentissement marqué de l’économie). En effet, le PMI rebondit au mois d’août après deux fortes baisses et reste en territoire d’expansion. Aussi, les salaires négociés ralentissent nettement au 2ème trimestre alors qu’ils avaient réaccéléré au T1. Cela suggère que le scénario central reste celui d’une reprise progressive et d’une lente désinflation. Dans ce contexte, nous pensons que la BCE devrait pouvoir continuer à baisser graduellement ses taux, à commencer par septembre.
►Les tensions au Moyen-Orient réescaladent ce week-end, en particulier entre Israël et le Hezbollah. Cela fait remonter un peu les prix du pétrole mais ces derniers restent globalement limités à 80 dollars par baril.
Pour aller plus loin
Les actions et les taux d’intérêt ont fortement baissé début août. Ce mouvement d’aversion pour le risque a été déclenché par les chiffres d’emploi américains de juillet, qui ont fortement déçu et indiquent un risque de récession en hausse. Mais ce mouvement a été renforcé par le débouclage de positions spéculatives financées en yen suite à la hausse des taux de la Banque du Japon et par la faible liquidité habituelle au milieu de l’été. Les chiffres plutôt rassurants, publiés en août, quant à l’économie américaine (ventes au détail, demandes d’allocations chômage, PMI…), ont d’ailleurs calmé les craintes économiques, ce qui a permis le rebond des actifs risqués. Les marchés sont également soutenus par les anticipations de baisse de taux de la Fed (cf. infra). En effet, les taux sans risque américains sont au plus bas depuis un an ce matin.
La hausse du taux de chômage aux États-Unis en juillet, de 4,1 % à 4,3 %, et le ralentissement des créations d’emplois augmentent les risques de récession, même si notre scénario central reste pour l’instant un ralentissement significatif mais pas une récession. Le taux de chômage est en hausse de plus de 0,5 pt par rapport à son point bas des douze derniers mois, ce qui est la limite qui historiquement a toujours marqué le début d’une récession. C’est la règle empirique trouvée par l’économiste Sahm. Cela fait sens économiquement car l’emploi est la variable la plus importante pour la conjoncture américaine, qui dépend principalement de la consommation. Mais ce niveau de 0,5 pt est empirique et beaucoup de relations historiques n’ont pas été respectées depuis le choc du Covid. De plus, les chiffres d’emploi de juillet ont été impactés par les ouragans, qui ont empêché plusieurs milliers de travailleurs de se rendre au travail mi-juillet. Les craintes sur l’emploi américain ont été renforcées par la révision des données passées. En effet, l’emploi salarié a été revu de 818 000 à la baisse pour mars 2024 (soit -0,5 %), ce qui est la plus forte révision baissière depuis la crise financière de 2008-2009. Mais l’emploi reste en hausse, même après révisions, à +1,3 % sur un an contre 1,9 % selon les données initiales. Enfin, les demandes d’allocations chômage, publiées toutes les semaines, restent basses. En fait, le ralentissement de l’emploi vient pour l’instant du ralentissement des embauches mais le niveau des licenciements reste très bas.
Nous ne minimisons pas les signes de dégradation de l’économie américaine, dont l’emploi est la variable la plus importante. Surtout que d’autres indicateurs, comme la hausse des défauts et la repentification de la courbe des taux, envoient également des signes négatifs. Mais en l’état, nous pensons que ces chiffres vont dans le sens de notre scénario d’un ralentissement net mais pas d’un effondrement de l’économie américaine. Surtout que la consommation reste solide et la confiance des entreprises positive (le PMI composite à 54,1 points en août). Et que la Fed est prête à de nouveau aider l’économie maintenant que la désinflation est sur des rails solides.
Après le discours très attendu de Powell à Jackson Hole, il ne fait plus de doute que la Fed va commencer à baisser ses taux lors de sa prochaine réunion le 18 septembre. En effet, Powell a dit clairement que “Le temps est venu d’ajuster la politique” monétaire. Cela marque une évolution claire par rapport à la dernière conférence de presse, quand Powell avait répété qu’il attendait plus de données pour être confiant sur la poursuite de la désinflation.
Mais Powell a été plus loin lors de ce discours, en confirmant que la Fed avait fini la campagne de lutte contre l’inflation qu’elle avait débutée il y a deux ans. Powell avait utilisé cette conférence de Jackson Hole en 2022 pour dire que la Fed était alors prête à accepter une récession si cela était nécessaire pour réduire l’inflation. Cette fois-ci, Powell a dit que la banque centrale entend agir pour éviter un nouvel affaiblissement du marché du travail américain. Et il a précisé que : « Nous ne cherchons ni ne souhaitons que le marché du travail se détende davantage ».
Et il n’y a pas que Powell qui souhaite baisser les taux à la Fed. En effet, la Fed était quasi-prête à baisser ses taux lors de sa réunion de juillet d’après les minutes de sa dernière réunion. En effet, « une large majorité » des membres de la Fed ont dit qu’il « sera probablement approprié d’assouplir la politique monétaire lors de la prochaine réunion ». Et « plusieurs membres » considéraient même que les récents progrès sur l’inflation et la hausse du taux de chômage permettaient de considérer une baisse de taux de 25 pb dès la réunion de juillet. Or, ces discussions ont eu lieu avant la publication des chiffres d’inflation et d’emploi de juillet qui ont surpris à la baisse.
Même si les marchés avaient déjà intégré, comme nous, que la Fed allait baisser ses taux en septembre, la confirmation par Powell a soutenu l’ensemble des actifs. Cela reflète probablement le retour en force du soutien de la Fed aux marchés, car elle est prête à réagir à toute surprise négative sur l’économie. Au total, les conditions financières se sont déjà nettement assouplies, avant même que la Fed ne commence à baisser ses taux. Cela reflète les anticipations de baisses de taux ainsi que le rebond des actifs risqués et la dépréciation du dollar. Cet assouplissement des conditions financières est probablement bien vu par la Fed car il soutient déjà l’économie et lui permet de ne pas avoir à agir dans l’urgence.
En revanche, Powell n’a pas fourni d’indication sur la taille et le rythme des baisses de taux à venir. « Le calendrier et le rythme des baisses de taux dépendront des données publiées, de l’évolution des perspectives et de l’équilibre des risques ». Or, le marché anticipe déjà des baisses de taux très agressives selon nous, avec plus de 1 point de baisse d’ici la fin de l’année. Comme il ne reste que trois réunions d’ici la fin de l’année, le scénario du marché implique que la Fed baisserait au moins une fois ses taux de 50 pb au lieu des 25 pb habituels (ou qu’elle baisserait ses taux en dehors de ses réunions prévues). Cela nous semble peu probable en l’absence d’un choc financier ou d’un chiffre qui rendrait certaine une récession.
Au total, nous pensons après cet été mouvementé que la Fed va baisser ses taux lors de chaque réunion d’ici la fin de l’année, à commencer par celle de septembre. Cela implique trois baisses de 25 pb (contre deux baisses dans notre scénario précédent). C’est nettement plus que ce que prévoyait la Fed en juin (une seule baisse cette année) mais moins que ce que le marché a déjà intégré.
Pour la zone euro, les dernières données sont rassurantes après les signes de stagflation du début de l’été. Le PMI rebondit en août après deux fortes baisses, de telle sorte qu’il reste en territoire d’expansion (51,2 points). Cela vient du rebond de l’activité dans les services, aidée par l’effet des JO en France, mais aussi de l’activité solide dans les pays périphériques. En revanche, l’activité industrielle reste dégradée, ce qui pèse en particulier sur l’économie allemande.
Pour la France, le PMI composite repasse en expansion pour la première fois depuis 4 mois, et atteint même un plus haut depuis mi-2022 (à 52,7 points). Le dynamisme de l’économie française en août est probablement en grande partie lié à l’effet des JO. En effet, le PMI services bondit à 55 points alors qu’il indiquait une stagnation du secteur depuis 3 mois. Au contraire, le PMI manufacturier est au plus bas de l’année à seulement 42,1 points. Si le PMI rebondit dans le reste de la zone euro, l’économie allemande reste faible avec un PMI qui repasse en zone de contraction cet été (à 48,5 en août). Elle est toujours plombée par la faiblesse de l’industrie, comme le montre le PMI manufacturier à seulement 42,1 points. Le PMI des services baisse aussi en août mais il reste en zone d’expansion (51,4).
Côté inflation, les derniers chiffres montrent que l’inflation reste persistante, surtout dans les services, mais la tendance à la désinflation n’est pas remise en cause. En particulier, les salaires négociés ralentissent nettement au T2 d’après la BCE, de 4,7 % à 3,6 % en glissement annuel. Ce ralentissement est exagéré par le timing du versement de primes, surtout en Allemagne, et la croissance des salaires reste élevée. En effet, les salaires en Allemagne ralentissent de 6,2 % à 3,4 % en raison de moindres primes versées, mais les salaires hors primes restent élevés à 4,3 %. Mais elle commence bien à ralentir, comme attendu vu le décalage entre le ralentissement de l’inflation et des salaires en zone euro. Cela devrait rassurer la BCE qui prévoit, comme nous, un ralentissement plus net de l’inflation l’année prochaine. Cela dit, la BCE devrait rester très graduelle, en l’absence de dégradation marquée de l’économie, car l’inflation sous-jacente et les pressions sur les salaires ne refluent que lentement. Ainsi, les minutes de la réunion de juillet indiquent que le conseil a mentionné à plusieurs reprises qu’il procéderait « avec prudence » en attendant une confirmation supplémentaire que la désinflation était sur la bonne voie, tout en ne voulant pas « nuire indûment à l’économie ».
Xavier Chapard
Stratégiste