Fed, le débat 25pb vs 50pb

Décryptages marchés 16.09.2024
Photo de la FED

Retrouvez dans le décryptage marché du 9   septembre   2024,  une analyse réalisée  Sebastian PARIS HORVITZ   , centrée sur la baisse attendue des taux directeurs  par la Fed.


Ce qu’il faut retenir 


Alors que la Fed s’apprête à suivre d’autres grandes banques centrales, comme la BCE, dans l’assouplissement de sa politique monétaire, avec une première baisse de ses taux directeurs, le débat sur l’ampleur de celle-ci s’est accentué ces derniers jours. La proportion de ceux attendant 50 points de base (pb) a nettement augmenté. La raison essentielle serait une décélération rapide des créations d’emplois et donc le risque de voir l’économie entrer rapidement en récession. La Fed devrait agir plus fortement pour contrer ce risque. Aussi, les risques sur l’inflation auraient disparu.       

Il est vrai que certains indicateurs qui, historiquement, ont donné des signaux anticipés sur les risques de récession, se sont déclenchés. Mais ce n’est pas la première fois dans ce cycle si particulier. Mais, surtout, on constate que de nombreuses variables économiques, sur le marché du travail, sur la santé des entreprises, ou sur les risques systémiques financiers (notamment du côté des banques) continuent de pointer sur la poursuite de l’expansion de l’économie américaine, même si de manière plus lente. 

Ainsi, utiliser une ou deux mesures pour faire le diagnostic de l’état du cycle américain serait erroné. D’autant plus, que malgré la tendance favorable, l’inflation aux Etats-Unis est encore loin d’être arrivée à bon port. 

Nous continuons de penser qu’une baisse de 25 pb est le plus probable et le plus raisonnable compte tenu de l’information dont nous disposons. Ceci est d’autant plus justifié que les conditions financières aux Etats-Unis sont déjà devenues les plus accommodantes depuis 2 ans. Un geste plus agressif pourrait être vu comme un diagnostic de la Fed bien plus négatif sur les perspectives économiques, ce qui pourrait affecter la confiance. Le plus important sera d’indiquer au marché que la Fed est prête à agir davantage si la situation économique se dégrade dans l’avenir.   

Dans la lignée des statistiques décrivant une économie qui tient, l’enquête sur la confiance des consommateurs de l’Université du Michigan a montré une légère amélioration de celle-ci en septembre. Malheureusement, du côté de l’inflation, les anticipations de moyen terme 5-10 ans sont revenues à leur plus haut, à 3,1%. Un niveau qui reste néanmoins raisonnable. 

En Chine, les dernières statistiques sur l’activité ont de nouveau déçu en août. D’une part la production industrielle a progressé moins que prévu à 4,5% en glissement annuel, mais surtout l’investissement et la consommation (via les ventes au détail) ont été moins robustes qu’attendu. Ainsi, le manque de confiance pèse toujours sur la consommation et pour l’investissement, la poursuite de la contraction dans l’immobilier reste un énorme frein.





Pour aller plus loin

Mercredi prochain la Fed s’apprête à baisser ses taux directeurs pour la première fois depuis que la campagne de hausse a débuté, en mars 2022. Evidemment, cette hausse est largement anticipée. Elle correspond au besoin de commencer à ajuster sa politique monétaire dans un contexte où l’inflation a reflué de manière importante, même si encore loin de la cible de 2%. 
 
Elle va ainsi rejoindre la plupart des grandes banques centrales dans cet assouplissement des conditions monétaires. Ce départ plus tardif correspond à la spécificité du cycle américain. En effet, les Etats-Unis ont jusqu’ici connu une croissance économique bien plus forte que d’autres pays ce qui laissait craindre que les pressions inflationnistes ne persistent plus longtemps. 
 
Alors que l’inflation est bien dans une tendance baissière, les effets retardés de la politique monétaire restrictive se font sentir sur l’économie de manière plus notable avec notamment un ralentissement des créations d’emplois. Le marché du travail semble enfin être en train de se normaliser. 
 
Néanmoins, cette normalisation du marché du travail pourrait s’avérer plus abrupte qu’anticipé. C’est cette crainte qui a amené la Fed à souligner que dans le cadre de son double mandat d’assurer la stabilité des prix et le plein emploi (non-inflationniste), elle voyait que ce dernier objectif pourrait être à risque. Ceci du fait de la hausse du taux de chômage.
 
Il est vrai que le taux de chômage est monté à 4,3% en juillet. Ce niveau est plus élevé que ce qu’anticipait la Fed. Même si en août il est repassé de nouveau à 4,2%, la crainte donc de voir le chômage augmenter fortement dans les mois à venir a fait changer le discours de la Fed et notamment de son président, J. Powell.  En effet, l’objectif de la Fed semble être d’assurer un atterrissage en douceur de l’économie, qui se traduirait par des pertes d’emplois minimes. Ce serait un exploit. 
 
Sur la base de ce constat, l’idée a gagné les esprits que la Fed serait en retard dans l’assouplissement monétaire et devrait agir avec plus de célérité. Ainsi, un nombre encore plus important d’opérateurs de marché, notamment en fin de semaine dernière, attend maintenant que la Fed procède à une première baisse de 50pb. Indiquant ainsi sa volonté de na pas laisser l’économie déraper, voire la voir entrer en récession.
  

 

États-Unis :  Le marché a accentué son anticipation d’une baisse de 50pb en fin de semaine dernière

États-Unis :  Le marché a accentué son anticipation d’une baisse de 50pb en fin de semaine dernière

Cette montée de fièvre est venue notamment des commentaires de certains ex-membres de la Fed, comme B. Dudley, qui ont appelé à une baisse forte. Elle s’appuie aussi sur les commentaires de J.Powell à la conférence de Jackson Hall en août qu’indiquait qu’une détérioration supplémentaire du marché du travail ne serait pas la bienvenue.  
Une baisse de 50pb donnerait un message sûrement de plus d’urgence à ajuster la politique monétaire, d’autant plus, qu’on le sait, elle agit avec retard sur l’économie. Ceci pourrait faire craindre à certains que les risques sur la croissance sont bien plus importants qu’anticipés. Ceci pourrait entraîner des conséquences négatives sur les comportements des agents économiques, qui deviendraient plus prudents, ce qui in fine affecterait la croissance, ce qui serait contre-productif.
 
Néanmoins, on pourrait considérer qu’effectivement la Fed craint que sa politique soit bien trop restrictive.
 
Toutefois, il se trouve que d’autant qu’on puisse en juger, les conditions financières aux Etats-Unis sont les plus accommodantes qu’on ait connu justement depuis le début du resserrement monétaire début 2022.  

États-Unis Les conditions financières sont les plus accommodantes depuis début 2022

Etats-Unis Les conditions financières sont les plus accommodantes depuis début 2022

Doit-on donner le message que c’est le moment d’être plus agressif pour tendre vers un assouplissement des conditions financières encore plus rapide ?
 
Evidemment, il serait erroné d’être péremptoire sur le bon diagnostic. Néanmoins, on a trop d’indices qui soulignent, qu’en dépit de quelques indicateurs qui alertent sur la possibilité d’une récession proche, que l’économie américaine continue de faire preuve d’une résilience étonnante.
 
Sur l’emploi, alors que le taux de chômage a augmenté de près d’un point de pourcentage à partir du point historiquement bas de 3,4%, il reste toujours à un niveau historiquement faible. Surtout, on a atteint un taux de participation historiquement élevé quand on considère la catégorie la plus nombreuse du marché du travail, soit les 25-54 ans. Elle est proche de sommets atteints au début des années 2000. En outre, on ne voit toujours pas de dynamique de licenciements vraiment palpable dans l’économie.

États-Unis : Le marché du travail reste très proche du plein emploi avec un taux de participation historiquement élevé de la catégorie la plus nombreuse 

Graph :  Etats-Unis :  Le marché du travail reste très proche du plein emploi avec un taux de participation historiquement élevé de la catégorie la plus nombreuse

Lié à l’emploi, dont la dynamique semble avoir été fortement marquée par l’arrivée massive de migrants, on trouve aussi des entreprises qui présentent une situation financière très solide. Ainsi, si l’économie américaine était en risque d’entrer en récession, il s'agirait de la première fois que ceci aurait lieu : avec des entreprises qui maintiennent des marges historiquement élevées et qui ne montrent pas de tendance notable de détérioration. 

États-Unis :  Les marges des entreprises restent très élevées, réduisant le risque sur le marché de l’emploi et d’un effondrement de l’économie 
 

Graph :Etats-Unis :  Les marges des entreprises restent très élevées, réduisant le risque sur le marché de l’emploi et d’un effondrement de l’économie   ​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

Aussi, la Fed ne cesse d’insister sur le fait que les risques systémiques en provenance du secteur bancaire sont très limités. La capitalisation des banques est donc perçue très solide, et notamment capable d’absorber la détérioration, qui semble normale à ce stade du cycle, de la situation de certains ménages, le plus fragiles, qui voient leur situation financière se dégrader (cartes de crédit, prêts automobiles).
 
Au total, il nous semble toujours plus justifié de procéder de façon prudente pour la Fed dans cette première baisse des taux. D’autant plus que dans une période électorale, une action plus agressive ne laisserait pas les candidats à la présidence indifférents. La Fed ne voudrait certainement pas devenir un sujet de discussion. Aussi, du côté budgétaire, rien n’est fait pour voir un ajustement quelconque des finances publiques dans le futur. 
 
Nous attendons donc toujours 25pb de baisse des taux directeurs de la part de la Fed. Toutefois,  le scenario de 50 pb a gagné du terrain, même si à notre avis, pas vraiment pour des très bonnes raisons.  Quoi qu’il en soit, le plus important mercredi soir, sera de savoir si la Fed donne une indication de la trajectoire qu’elle va suivre. Nous tablons toujours sur 2 baisses supplémentaires d’ici la fin d’année, après celle de mercredi. 
 
Sur la trajectoire de l’économie américaine, on a eu l’enquête sur la confiance des consommateurs de l’U. du Michigan pour septembre qui a indiqué une amélioration, notamment concernant les perspectives. Néanmoins, la confiance reste à des niveaux relativement faibles, ce qui s’explique en partie par une polarisation politique très marquée.

États-Unis :  La confiance des consommateurs se redresse grâce aux perspectives en septembre selon l’enquête de l’Université du Michigan

​​​​​​​Etats-Unis :  La confiance des consommateurs se redresse grâce aux perspectives en septembre selon l’enquête de l’Université du Michigan

L’enquête a toutefois donné une mauvaise nouvelle concernant les anticipations d’inflation. Certes les anticipations à court terme (1 an) baissent du fait de la baisse des prix énergétiques, mais à long terme (5-10 ans) elles repartent à la hausse. On revient à 3,1%, soit dans la fourchette haute des 15 dernières années.
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Etats-Unis :  Les anticipations de long terme (5-10 ans) remontent légèrement un plus haut depuis plus de 15 ans

Graph :  Etats-Unis :  Les anticipations de long terme (5-10 ans) remontent légèrement un plus haut depuis plus de 15 ans

L’économie chinoise continue de montrer des signes de faiblesse. En effet, la production industrielle en août est ressortie plus faible qu’attendue, à 4,5% en glissement annuel. Certains effets de base expliquent cette décélération par rapport au mois précédent, mais ceci montre aussi qu’il n’y a pas de regain de dynamisme. 
 
Surtout, du côté de la demande intérieure on voit qu’il n’y vraiment pas de force dans la reprise. Du côté des ménages, les ventes au détail en août ont été nettement plus faibles qu’attendues (2,1% en glissement annuel) montrant que la confiance n’est toujours pas au rendez-vous. Aussi, du côté de l’investissement, même si celui en infrastructures reste le moteur utilisé par les autorités, on a toujours le secteur de l’immobilier qui reste plombé et pèse sur l’activité. 
 
On verra si ces chiffres poussent les autorités à faire davantage pour stimuler l’activité. Jusqu’ici on a vu que la probabilité d’une stimulation massive n’est pas d’actualité. Néanmoins, on peut s’attendre que les conditions financières continuent à être assouplies.  


Chine :  La croissance reste faible du fait de la demande (consommation et investissement) et appelle à plus de mesure pour soutenir l’activité 

Graph : Chine :  La croissance reste faible du fait de la demande (consommation et investissement) et appelle à plus de mesure pour soutenir l’activité


 

Sebastian PARIS HORVITZ

Sebastian PARIS HORVITZ

Directeur de la recherche

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