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Aujourd'hui, pour financer les professionnels de l'immobilier, les sociétés de gestions peuvent déployer une politique d’investissement conjuguant acquisition de créances sur le marché de la syndication et octroi de crédits bilatéraux
Mais pour les investisseurs de ces fonds, quels bénéfices en attendre ?
Le financement des professionnels de l’immobilier s’est ouvert aux fonds de dette depuis une douzaine d’années. A ses débuts, leur intervention s’opérait uniquement par l’acquisition de créances sur le marché de la syndication. Depuis 2018 et les décrets d’application de la loi dite Sapin 2, les fonds de droit français ont été autorisés à octroyer directement des financements, aussi bien au moment de l’acquisition d’un bien (prêt) qu’au moment de la réalisation de travaux (ouverture de crédit confirmée). Les sociétés de gestion de fonds ont donc désormais le choix de déployer une politique d’investissement conjuguant ces deux modalités. Pour les investisseurs de ces fonds, quels bénéfices en attendre ? Christophe Murciani, responsable de la dette privée immobilière chez LBP AM, tente d’apporter un éclairage à cette question sous l’angle du déploiement, du rendement et de la gestion dynamique du risque.
Le marché de la syndication se prête particulièrement à un rythme de déploiement soutenu.
Tout d’abord parce que la créance existe déjà. En effet, une ou plusieurs banques ont arrangé et décaissé le crédit, le fonds se préoccupe alors seulement de sélectionner les créances qu’il souhaite acquérir, parmi un pipeline d’autant plus fourni qu’il s’intéresse à plusieurs juridictions et enfin, de faire valider le projet par son comité d’investissement.
Ensuite parce que la documentation juridique est déjà en place avec l’emprunteur. Un simple acte de transfert avec la banque cédante vient matérialiser l’investissement. Dans le pire des cas, si la syndication est sursouscrite, le fonds peut voir sa part réduite. L’opération débouche néanmoins sur un déploiement effectif.
Lorsqu’il s’agit d’octroyer un crédit bilatéral, le risque d’échec est significativement supérieur et le déploiement moins véloce. Tout d’abord, le fonds doit être identifié comme prêteur par le marché, qu’il faut tenir informé de sa politique de financement, et il convient également de rassurer quant au processus de décision et à la fiabilité de l’exécution (le décaissement des fonds à bonne date). Compte tenu de leur longue histoire, les banques sont exonérées de cette pédagogie.
Ensuite, lorsqu’un emprunteur se présente, il est bien souvent lui-même en concurrence avec d’autres investisseurs pour acquérir un actif. Ainsi le fonds est confronté à une double incertitude : l’emprunteur en question remportera-t-il les enchères, et dans l’affirmative choisira-t-il le fonds comme prêteur ?
Une fois ces deux incertitudes levées, le processus de rédaction de la documentation et les diligences relatives aux actifs et à l’emprunteur est entamé.
Au global, la procédure d’octroi est plus aléatoire, et en cas de réussite, la mise en œuvre de l’investissement s’étale sur une plus longue période.
Rester ouvert au marché de la syndication procure à la société de gestion un observatoire permanent des conditions de marché et lui permet d’ajuster ses exigences de couple risque/rendement.
Pour exister en tant que prêteur bilatéral aux yeux des emprunteurs, les sociétés de gestion mettent en œuvre des stratégies différenciantes, en ciblant par exemple les opérations de taille moyenne, trop volumineuses pour une banque régionale, mais de trop petite taille pour qu’une banque de financement s’y intéresse en vue d’une syndication.
En occupant un terrain moins concurrentiel, le fonds peut espérer dégager de meilleurs rendements initiaux. Notre expérience nous enseigne que l’écart de marge peut atteindre 40 à 50bp par an.
Par ailleurs, puisqu’il remonte dans la chaîne de valeur et arrange lui-même les opérations, le fonds capture en outre des commissions initiales plus importantes, de l’ordre de 3 à 5 fois ce qu’il perçoit en syndication.
Une fois l’investissement réalisé, il faut suivre l’évolution du projet. Les financements immobiliers étant structurés sans recours contre le sponsor de l’opération, la documentation prévoit une série de covenants financiers pour mesurer l’éventuelle dérive du risque et les nombreuses mesures correctrices : modification de l’affectation des loyers, changement de marge, modification de l’échéancier de principal, etc.
Le financement de travaux lourds nécessite également de les superviser, tout comme il faut superviser l’AMO (Assistance à maîtrise d’ouvrage) qui accompagne le prêteur dans le suivi du chantier et valide les avances au titre du crédit.
Dans les opérations syndiquées, l’agent du crédit est le relais informationnel et administratif. Il calcule les flux, émet les avis de paiement d’intérêt et de principal, et affecte les sommes entre les différents prêteurs. Il s’assure que l’emprunteur communique à bonne date toutes les informations qu’il s’est engagé à fournir.
Dans un prêt bilatéral, la société de gestion est l’acteur de ce suivi. La proximité née de la structuration du crédit rend les échanges avec l’emprunteur plus fluides, sans déperdition d’information ni lenteur dans le processus. La société de gestion peut ainsi réagir plus rapidement, d’autant que la décision d’un seul prêteur (le fonds) suffit.
Lorsqu’il faut prendre des décisions dans un groupe de prêteurs, le processus est moins rapide. Entre la coordination des emplois du temps, les divergences de diagnostic, le délai d’instruction de chaque prêteur, la résolution des difficultés rencontrées par le projet prend du temps. L’expérience récente nous enseigne par ailleurs, notamment suite à la baisse des valeurs d’actifs depuis fin 2022, que chaque typologie de prêteurs se comporte de manière très distincte :
d’un côté les prêteurs bancaires, dont le client final est l’emprunteur, avec qui s’est développée une relation d’affaires plus vaste que le financement en question, relation qu’il convient d’entretenir,
de l’autre les fonds de dette, dont le client final est l’investisseur, à qui il convient de procurer le meilleur rendement possible.
Si ces deux catégories, généralement représentées par des professionnels expérimentés des financements immobiliers, peuvent se retrouver sur le diagnostic, les divergences se font jour quand il s’agit de rémunérer le risque additionnel encouru par une modification du contrat initial. Dans un crédit bilatéral, la négociation avec l’emprunteur est plus directe et permet le plus souvent de dégager un surcroît de rendement. Où la gestion dynamique du risque rejoint la recherche du meilleur rendement.
Ces deux modes d’intervention procurent différents bénéfices aux investisseurs en fonds de dette. Dans la mesure où ils ne sont pas mutuellement exclusifs, il reviendra à la société de gestion de promouvoir une politique d’investissement qui en tire le meilleur parti, entre rendement et contrôle du risque, d’une part, rapidité de déploiement et observatoire de marché, d’autre part. Enfin dans un environnement très mouvant du côté des pratiques ESG, un crédit bilatéral permet au fonds de définir ses propres indicateurs (ou KPIs) et les incitations qu’il accorde à l’emprunteur pour améliorer l’empreinte environnementale des bâtiments, notamment les baisses et hausses de marge à la réalisation de ces objectifs.